Un entretien avec Ilsen About autour de l’exposition « Mondes tsiganes, la fabrique des images »
L’atelier des vanniers du pays d’Aix
« …À l’automne 2016 Gligor est parti en Roumanie chercher des documents administratifs indispensables. Sa femme Cristina nous avait prévenu qu’à son retour il ramènerait des paniers pour remercier les bénévoles qui les avaient aidé. À son retour effectivement il rapportait une quantité de beaux paniers. Tout le monde les apprécia pour leur qualité, bien faits, fonctionnels, jolis, un modèle traditionnel. »
C’est le début de l’histoire de l’association l’atelier des vanniers d’Aix, que nous vous invitons à découvrir à travers le récit de François Provansal :
François Provansal – l’association l’atelier des vanniers du pays d’Aix
Août, 2016

Une Euro-députée Rom
Cette eurodéputée suédoise œuvre pour que le 2 août devienne une journée européenne de commémoration du génocide des Roms.
Soraya Post, députée suédoise d’origine Rom, au Parlement européen. / Fred Marvaux / © European Union 2015 – source:EP
Son parcours suffit à déjouer les clichés. Rom par sa mère, Soraya Post, 58 ans, n’erre pas à travers le Vieux Continent comme sur les images d’Épinal. Bien au contraire, cette Suédoise native de Göteborg siège avec assiduité au Parlement européen, où elle a été élue en mai 2014 pour le compte de l’Initiative féministe, un parti suédois qui a rejoint les socialistes et démocrates (S&D).
À Madrid pour recevoir un prix à l’occasion de la journée internationale des Roms, fixée au 8 avril en souvenir de leur premier congrès, en 1971, à Londres, elle a pris la parole devant ses collègues fin mars pour présenter un projet de résolution, soumis au vote à la fin du mois à Strasbourg.
Le 2 août 1944, 2 987 Roms exterminés à Auschwitz-Birkenau
Comme de nombreux Roms, Soraya Post ose espérer que l’Union européenne (UE) fasse du 2 août une journée de commémoration du génocide rom. Aujourd’hui en Europe, seule la Pologne s’incline en ce jour au cours duquel, en 1944, 2 987 Roms furent exterminés dans les chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau.
« Il est temps que les Roms obtiennent une reconnaissance de leur génocide », dit Soraya Post (23 000 Roms, dont 6 000 enfants, ont été emprisonnés à Auschwitz-Birkenau ; au total 500 000 Roms ont péri dans les camps de la mort).
Retour sur les bancs de l’école à 53 ans
Soraya Post a acquis un savoir-faire en matière de reconnaissance. En 2000, sa mère a obtenu grâce à elle une compensation de 18 000 € de l’État suédois. Quarante ans plus tôt, une assistante sociale l’avait forcée à avorter de son troisième enfant après sept mois de grossesse. « Ils ont dit à ma mère, si vous voulez garder vos deux enfants avec vous à la maison (Soraya Post et son frère, NDLR), vous devez avorter », raconte Soraya Post.
Dans un deuxième temps, sa mère avait été contrainte à la stérilisation, comme son époux, un marin allemand, rencontré lors d’une escale en Suède. L’ensemble avait créé un tel traumatisme que c’est Soraya qui a conduit toutes les démarches.
Au travail dès l’âge de 17 ans – dans un débit de journaux, de cigarettes… – Soraya Post a repris des études à l’âge de 53 ans. « Je suis un modèle et un espoir pour de nombreux Roms, estime-t-elle. C’est tellement faux de dire que les Roms ne veulent pas être intégrés. »
MARIANNE MEUNIER
Une histoire oubliée
Notre ami Sasha Zanko nous fait parvenir ce morceau d’histoire récemment mis à jour .
Qui étaient les Tcherkesses caucasiens du Jardin d’Acclimatation ? Julien Radenez (Mai 2016)
Le Jardin d’Acclimatation, situé à Paris entre la porte de Neuilly et la porte des Sablons, était un jardin zoologique (de 1860 à 1950) et ethnographique (de 1877 à 1931). La Société zoologique d’acclimatation, fondée en 1854 par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, avait pour but «de concourir à l’introduction, à l’acclimatation et à la domestication des espèces d’animaux utiles ou d’ornement ; au perfectionnement et à la multiplication des races nouvellement introduites ou domestiques.» [Règlement constitutif, article 2]. Le Jardin d’Acclimatation servait à la fois de terrain d’études (pseudo-) scientifiques et de parc de loisirs. Animaux sauvages et humains exotiques étaient même présentés au public dans leur milieu supposé naturel ou culturel. A la fin du 19 ème et au début du 20 siècle, les exhibitions ethnographiques attiraient des millions de visiteurs. Dans un article du Monde diplomatique, Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire résument : «L’apparition, puis l’essor et l’engouement pour les zoos humains résultent de l’articulation de trois phénomènes concomitants : d’abord, la construction d’un imaginaire social sur l’autre (colonisé ou non) ; ensuite, la théorisation scientifique de la “hiérarchie des races” dans le sillage des avancées de l’anthropologie physique ; et, enfin, l’édification d’un empire colonial alors en pleine construction.» [Ces zoos humains de la République coloniale, 2000]. Les indigènes, aux rôles de barbares (étrangers), se mettaient en scène face aux spectateurs, photographes et cinéastes. En réalité, tous étaient engagés et rémunérés comme figurants ou acteurs. Dans les villages reconstitués, on trouvait aussi des populations proches voire locales. Elles étaient préjugées archaïques et marginales, néanmoins civilisables et intégrables.
En mai 1913, le Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France relata «l’arrivée, au Jardin d’Acclimatation, d’une caravane de Tcherkesses caucasiens». Ces Tcherkesses (Circassiens), visiblement nomades, campaient sous de grandes tentes. Les hommes pratiquaient la chaudronnerie, l’étamage et le rétamage ; les femmes lisaient les lignes de la main. Les jeudis et dimanches, ils montaient sur les planches du Kiosque à Musique pour un concert en plein air. Un chroniqueur du Magasin pittoresque suggéra que ces musiciens, chanteurs, danseurs étaient des artistes professionnels. En juillet 1913, Adolphe Bloch, anthropologue physique et racialiste, écrivit : «La caravane tcherkesse se compose d’environ 60 individus, hommes, femmes, jeunes filles et enfants de tout âge, qui provenaient des montagnes du territoire russe de Kars, du côté de Batoum, au Sud-Ouest du Caucase; mais cette variété de Tcherkesses était primitivement établie au Nord de la chaîne, dans le gouvernement de Terek, d’après ce que me disait leur interprète. Etant quasi-musulmans, les Tcherkesses, après leur défaite par les Russes, en 1864, s’étaient retirés en grande partie sur le territoire de Kars, qui, avant l’année 1878, faisait encore partie, avec Batoum, de la Turquie d’Asie. L’on me disait aussi qu’il y avait dans la troupe un certain nombre de Tatars. Je demandai donc à voir principalement les Tcherkesses ; mais, remarquant l’intérêt particulier que je prenais à examiner et à mesurer les Tcherkesses seuls, les Tatars voulurent tous se faire passer pour Tcherkesses. Qu’est-ce qu’un Tatar? Aujourd’hui ce terme est plus spécialement appliqué (surtout par les savants russes) à certaines populations parlant la langue turque et appartenant, pour la plupart, à la race turque de la Sibérie, du Caucase ainsi que de l’Est et du Midi de la Russie d’Europe. A cela rien d’étonnant du reste qu’il y ait des Tatars dans la troupe du Jardin d’acclimatation puisque quelques-uns d’entre eux sont mariés à des femmes tcherkesses, mais les descendants, issus de ces mariages, ne sont naturellement plus d’une pureté absolue, à moins de tenir entièrement de l’un ou de l’autre des ascendants. Ces Tatars ont le type caucasique avec les yeux bruns, les cheveux et la barbe noirs, mais ils ont une peau quelquefois jaunâtre, tandis que les Tcherkesses purs ont la peau très blanche, les cheveux châtain-foncé, et les yeux grisâtres ou marron plus ou moins clair ; le nez est droit et nullement sémitique; leur taille est moyenne (un seul avait environ 1 m. 75). Les femmes et les jeunes filles paraissent être généralement de pures Tcherkesses, car elles ont aussi la peau très blanche, les cheveux châtains et les yeux plus ou moins clairs, même tout à fait bleus chez deux d’entre-elles. Il y a parmi ces Circassiennes de beaux types, ainsi que l’avaient déjà remarqué les voyageurs qui visitèrent les Tcherkesses dans leur pays d’origine. Elles dansent et chantent, dans leur costume national, sur une estrade disposée à cet effet. Je n’ai pu en mesurer que trois car les autres s’y opposèrent, non par timidité, mais par superstition. Ces 3 femmes âgées de 15, 35 et 42 ans ont un indice céphalique de 82,45 – 81,62 – 75,14 (moyenne 79,73). Quant aux hommes, sur 9 individus que je suppose être de véritables Tcherkesses, et âgés de 14 à 82 ans, l’indice céphalique est de 84,74 – 74,55 – 79,47 – 85,96 – 74,87 – 78,35 – 82,12 – 73,82 – 80,51 (moyenne 79,50). L’indice céphalique moyen chez les Tcherkesses est donc moins élevé, dans les deux sexes, que chez les mêmes Caucasiens du Nord mesurés par d’autres auteurs ; mais outre que la brachycéphalie n’est pas générale dans tout le Caucase, la différence chez ces Tcherkesses peut être due à l’influence du changement de milieu, le climat du Sud de la montagne n’étant pas le même que celui du Nord. Les autres caractères anthropologiques des Tcherkesses ont pu également se modifier par le changement de climat. Ainsi un voyageur allemand Reineggs qui visita les Tcherkesses dans leur habitat primitif, vers la fin du XVIIIe siècle, remarqua qu’il y avait un grand nombre de femmes qui étaient rousses, et nous croyons que cette couleur de la chevelure était un caractère atavique rappelant leur origine rousse ou blonde. Les enfants ont le teint blanc comme les mères. Leurs yeux, comme d’ailleurs ceux des adultes, présentent des colorations très variables, mais pouvant, presque toutes, se rapporter à des teintes plus ou moins claires de l’iris, bleu ardoisé, jaunâtre ou jaune verdâtre, etc. Il existe souvent aussi des taches brunes sur la surface de l’iris ou au pourtour de son grand cercle le reste de la membrane étant plus clair. Les anthropologistes russes ont particulièrement insisté sur cette variété de coloration des yeux chez les peuples du Caucase. Il y avait, parmi les enfants, des nouveau-nés au Jardin même, mais sur aucun d’eux l’on ne cherchait à déformer le crâne, la tête étant entièrement découverte. Au Jardin d’Acclimatation les Tcherkesses campent sous la tente, mais chez eux ils ont bien des maisons en bois et même en pierre, dit-on, dans des villages appelés aoule, situés dans la montagne. Chaque village est composé de petites tribus comptant généralement trois familles, chaque famille étant formée de trois frères mariés et de leurs enfants (d’après ce que disait l’interprète).[De l’origine et de l’évolution des peuples du Caucase à propos des Tcherkesses actuellement exhibés au Jardin d’Acclimatation]. L’enquête historique révèle que les Tcherkesses caucasiens du Jardin d’Acclimatation étaient Roms. Il s‘agissait des familles Maximoff, Filipoff, Koudakoff, probablement aussi Kalmikoff et Sotnikoff. Stationnées sur un terrain vague de la banlieue parisienne, elles ont été recrutées par un entrepreneur du spectacle. L’écrivain Mateo Maximoff, petit-fils de Jono Maximoff, publia un récit des événements :«On nous a conduits dans un endroit appelé le Jardin d’acclimatation. Il y avait là des animaux de toutes sortes ; c’était un zoo. Au fond, il y avait également un parc d’attraction, avec de vastes hangars entourés de palissades ; c’est là que nous avons installé nos roulottes et nos tentes. Dans les autres hangars, il y avait d’autres gens appartenant à des peuples d’Asie ou d’Afrique, et tous les jours, surtout quand il faisait chaud, des milliers de visiteurs venaient nous voir.[…]y avait aussi une baraque dans laquelle nos femmes lisaient les lignes de la main. Dans un autre coin, nos marteaux résonnaient sur nos enclumes et nos forges primitives restaient toujours allumées.» [Dites-le avec des pleurs,1990]. En octobre 1913, les familles Maximoff, Filipoff, Kudakoff, Kalmikoff, Sotnikoff, Demeter, Tsuron et Kadar séjournaient dans la banlieue londonienne, à Ilford, Leyton et Whitechapel. Eric Otto Winstedt insinua qu’elles parcouraient la France et l’Angleterre depuis des années [Coppersmith Gypsy notes, Journal of the Gypsy Lore Society volume 8,1914-1915]. A partir des archives photographiques et cinématographiques, Sasha Zanko identifie ses grands-parents Jono et Yipunka Koudakoff. Alexandre Zanko, alias Jono (Yochka) Koudakoff, est né en 1888 à Kamenets-Podolski (Podolie, Ukraine). L’appellation britannique «Galician Gypsies» (Tsiganes Galiciens) est concordante avec la Podolie et compatible avec le Caucase, territoires de l’Empire russe. L’historienne Henriette Asséo attire l’attention sur les sources documentaires et synthétise : «Nous pouvons reconstituer l’existence tumultueuse des vitsa, des Roms de Galicie grâce aux recherches de Jerzy Ficowski mais surtout aux archives de la Gypsy Lore Society conservées à Liverpool. L’arrivée entre 1905 et 1914 des “Gypsy coppersmiths”, composés de quatre familles de Tsiganes de la Galicie polonaise a été journellement suivi par les enquêteurs de la Gypsy Lore Society. On peut aisément compléter les dossiers par des archives polonaises, anglaises, françaises, italiennes ou belges. Peu nombreux mais doués de l’ubiquité que confèrent des déplacements incessants, ces Tsiganes grands voyageurs ont fait l’objet d’un intérêt tout particulier, en laissant derrière eux une somme considérable de témoignages. En croisant ces témoignages avec l’ensemble des archives, il est possible de reconstituer une sémiologie des contacts sur deux décennies de pérégrinations. Ces groupes ne cherchaient nullement à dissimuler ce qu’ils étaient et “l’exotisation assumée” fut un facteur d’inclusion sociale à une époque où la variété ethnographique européenne était non seulement tolérée mais recherchée.»
[Izydor Kopernicki et les Roms de la Galice polonaise,Etudes Tsiganes n° 48-49,2011].
Galician Gypsies (British Pathé) http://www.britishpathe.com/video/gallican-gypsieshttps://www.youtube.com/watch?v=6WQOf_S-cqI Fred Shaw Photographs (University of Liverpool Library) http://sca-arch.liv.ac.uk/ead/search/?operation=full&recid=gb141smgcshaw
Grand rassemblement de VIE ET LUMIERE
Les Roms Tsiganes à travers le monde
NEW YORK TIMES
Editorial
Scapegoating the Roma, Again
By THE EDITORIAL BOARD
Published : October 17, 2013
o
The Roma, sometimes called Gypsies, have been part of the European cultural landscape for centuries. They have also suffered greatly from discrimination and prejudice, particularly in times of economic crisis, when they become scapegoats.
That is happening now. Faced with stubbornly high unemployment and strained budgets, some European Union members are finding it easier to stigmatize and expel Roma than to provide them with the education, housing and employment they seek.
In London, a Roma camp was dismantled over the summer and most of its residents sent back to Romania. In the Czech Republic, Roma children are still routinely segregated in schools. In Sweden, revelations that the police kept a secret registry of Roma families touched off a national storm.
The Roma’s impoverished living conditions and inability to get legitimate jobs reinforce stubborn stereotypes of a people forced to live on society’s margins. France’s interior minister, Manuel Valls, has said the lifestyle of Roma from Romania and Bulgaria is so different that most cannot be integrated into French society and must be expelled.
His comments have been criticized by other officials, and Amnesty International has condemned France’s numerous deportations. On Thursday, there were protests in Paris over the deportation of a Roma girl, who was pulled off her school bus. But Mr. Valls’s tough stance has earned him high ratings among many French citizens.
Discrimination against the Roma is a direct violation of the E.U.’s Directive on Racial Equality and its official policy on Roma integration. Viviane Reding, the vice president of the European Commission and the E.U. justice commissioner, has severely upbraided France for violating E.U. rules protecting the free circulation of individuals. Her office warned that France faced E.U. sanctions over its treatment of the Roma.
A few European countries are taking steps to deal constructively with discrimination against the Roma. Recognizing that poverty is a real problem, Berlin has launched an ambitious plan to provide housing, education and medical care for Roma children. In Serbia, the Roma Education Fund is helping to get Roma youth to attend high school, and in Hungary an innovative program is teaching Roma students English.
With important municipal elections in France scheduled for next spring and the far-right National Front party on the rise, the actions of the Socialist government against the Roma look like political pandering. France’s president, François Hollande, needs to confront his interior minister, come out strongly in defense of the Roma’s fundamental rights and join other nations in helping them secure the education and jobs they need and deserve
Chili : les Tsiganes du bout du monde
6 novembre 2013
By la rédaction de Dépèches Tsiganes
Un soir de septembre au bout du monde. C’est la fête annuelle à Caldera, petit port de pêche de l’Océan pacifique niché près des plus belles plages chiliennes. Sur la jetée, dans le froid glacial du début de printemps austral, déambulent des dizaines de familles attendant le début des festivités.
Gitanos chilenos
photo Lorenzo Armendáriz, Système National des Créateurs, FONCA-Mexique
Les visages forment une extraordinaire mosaïque évoquant l’histoire du pays : métissage des traits des Indiens aymaras ou mapuches, des colons espagnols ou des immigrés plus récents, allemands, anglais, français, italiens, yougoslaves, péruviens ou colombiens.
Soudain, dans un bruissement, surgissent des femmes aux longues jupes chamarrées, les cheveux couverts d’un foulard coloré, le visage encadré de larges boucles d’oreille.
Leurs cheveux et leurs yeux sont souvent clairs, comme ceux de leurs compagnons et des enfants qui les suivent. Leurs noms finissent en « itch ». Entre eux, ils parlent le romani mêlé à des mots de serbo-croate ; avec les gadjé un espagnol parfois hésitant. Les femmes proposent de lire les lignes de la main à des passants hésitant entre méfiance et fascination.
A quelque 13.000 km des Balkans, au Chili, mince bande de terre de plus de 4.300 km de long, enfermée entre la majestueuse barrière des Andes et le Pacifique, vivent des milliers de tsiganes dont l’incroyable odyssée reste à écrire.
Pratiquement aucune trace écrite de leur histoire n’existe, seules quelques bribes d’information glanées au détour d’une phrase et des témoignages recueillis auprès des intéressés peuvent permettre de reconstituer le puzzle.
Les rares sources font état de la présence au Chili de 7.000 à 10.000 tsiganes sur une population totale de plus de 17 millions de personnes. Une minorité d’entre eux sont des gitans espagnols parlant le Kalo. Certains peuvent être des descendants de colons venus à partir du 16ème siècle et au gré des persécutions des gitans en Espagne, mais la plupart sont issus de familles ayant fui le Franquisme.
La grande majorité des tsiganes du Chili sont des descendants de Roms des Balkans, essentiellement de Serbie, Monténégro, Bosnie, Croatie, Turquie, Grèce et Bulgarie, venus en Amérique latine à partir de la seconde moitié du 19ème siècle. Comme la première vague d’immigration de gadjé serbes et croates au Chili, ils fuyaient alors la pauvreté et les guerres dans les empires ottoman et austro-hongrois. Ils venaient aussi dans un pays ayant récemment conquis son indépendance et dans lequel la variété du climat, la fertilité du sol et les richesses du sous-sol, le salpêtre puis le cuivre, motivaient les migrants.
A la fin du 19ème siècle et dans les premières décennies du 20ème, des tsiganes accompagnent très certainement des gadjé croates et serbes qui s’établissent dans les régions les plus extrêmes : le Grand nord désertique, autour d’Iquique et Antofagasta (exploitation du salpêtre puis du cuivre) et la Terre de feu à l’extrême sud (grands domaines où se pratique l’élevage de mouton).
Des tsiganes se trouvent très certainement parmi les marins qui s’engagent à bord de navires au long cours depuis les Bouches de Kotor (Monténégro) ou la Dalmatie (Croatie) à partir de la fin du 19ème siècle. Ils cherchent souvent à échapper à un enrôlement dans les armées de l’empire austro-hongrois et vont jusqu’à se couper plusieurs doigts pour y échapper selon les légendes familiales de nombreux tsiganes.
Les bateaux traversent alors l’Atlantique jusqu’au Brésil ou en Argentine. Certains tsiganes restent dans l’un ou l’autre de ces pays. D’autres poursuivent leur route, traversant la pampa dans une carriole tirée par des chevaux ou franchissant les sommets les Andes à pied. Les familles tsiganes du Brésil, d’Argentine, du Pérou, de Bolivie et du Chili entretiennent souvent des liens jusqu’à nos jours.
D’après les témoignages, les tsiganes déterminent alors le pays de leur séjour en fonction du climat, des paysages, des opportunités de travail ou encore de la taille des insectes et du degré d’hostilité de la nature rencontrée ! Les paysages et les climats extrêmes du Chili séduisent certains tsiganes et favorisent le nomadisme : au nord, le désert d’Atacama est la région la plus aride du monde et renferme de gigantesques réserves de salpêtre et de cuivre et des oasis permettant de cultiver fruits et légumes. La plupart des tsiganes migrant au Chili à partir de la fin du 19ème, sont des Roms Kalderash (chaudronniers) qui trouvent donc sur place la matière première pour fabriquer des objets en cuivre et les vendre, souvent de porte à porte. Certains tsiganes nomades ou semi-nomades passent l’hiver (juillet et août) dans cette région relativement chaude. Certains rejoignent l’Altiplano, ses salars désolés, ses volcans enneigés culminant à plus de 6.000 mètres et ses lagunes minérales.
Dans l’extrême sud, en Patagonie et en Terre de feu, terre de forêts, de steppes, de fjords et de glaciers, c’est au contraire en été que les tsiganes peuvent séjourner lorsque les pluies, les vents et l’humidité sont un peu moins forts.
Aujourd’hui peu de tsiganes chiliens restent nomades à plein temps. Ils possèdent généralement une maison mais voyagent plusieurs mois chaque année à au moins trois familles et installent de grandes tentes chamarrées à l’extérieur des villes et villages, notamment à Valparaiso (centre) ou Antofagasta (nord).
Un des domaines inexplorés de l’histoire de ces tsiganes du bout du monde consisterait à évaluer si le nomadisme de certains des premiers habitants indiens du Chili pourrait avoir eu une influence sur les tsiganes venus des Balkans. Plusieurs groupes indiens avaient des pratiques d’itinérance, notamment les « nomades de la mer », les Alakalufs du détroit de Magellan et de l’île de Wellington. Les tsiganes se sont en tout cas trouvés au Chili dans une société beaucoup moins sédentaire que les sociétés européennes. Dans ce pays, très souvent les gadjé des classes populaires ou ouvrières construisent de petites maisons de bois ou de tôle, éphémères, ce qui leur permet de changer rapidement de domicile en fonction du travail qu’ils trouvent. Du temps de l’économie du salpêtre comme de nos jours, ceux qui travaillent dans les mines chiliennes sont souvent à des centaines voire des milliers de km de leur famille.
Outre le travail du cuivre et le commerce des objets fabriqués dans ce métal, traditionnellement les tsiganes prospèrent dans la mécanique et le commerce des voitures d’occasion, qui a remplacé celui des chevaux et convient toujours aussi bien à un mode de vie itinérant ou semi-itinérant. Certaines familles ont de petits cirques et certaines femmes disent la bonne aventure. D’autres tsiganes vont de mine en mine avec des contrats temporaires ou sont ouvriers agricoles.
Souvent dans le pays depuis trois ou quatre générations, les tsiganes ont la nationalité chilienne et ne sont pas en reste en ce qui concerne le sentiment nationaliste. « Nosotros somos del pueblo de Chile » (« Nous appartenons au peuple chilien »), répondent souvent les tsiganes quand on les interroge sur leur appartenance nationale. Entre eux les Roms chiliens se désignent sous le nom de « Jorajané ». Ils votent aux élections tout en éprouvant un manque de confiance absolu pour une classe politique qui ne s’est jamais intéressée à eux. Quand on demande à des tsiganes s’ils s’estiment discriminés au Chili, ils répondent souvent par une boutade, « pas plus que les Mapuches », le peuple d’Indiens du sud du pays qui a été l’un des plus réprimés depuis la colonisation jusqu’à nos jours.
La moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté au Chili qui est un des pays les plus inégalitaires au monde. Ces inégalités se reflètent aussi chez les tsiganes même si les écarts de trains de vie sont moins grands. Sur le plan religieux, dans le très catholique Chili, les tsiganes ont gardé la religion dominante mais adoptent de plus en plus l’évangélisme tandis que d’autres sont orthodoxes.
La scolarisation des tsiganes reste un problème au Chili, la réticence est de mise chez les autorités et chez certaines familles. Depuis la vague d’ultralibéralisme favorisée par la junte à partir de 1973, l’éducation est également très chère. Cependant, de nombreux jeunes tsiganes parviennent à effectuer une scolarité jusqu’à environ quatorze ans. Rares sont ceux qui suivent des études universitaires.
Comme dans d’autres contrées, les tsiganes sont facilement identifiables à leur nom au Chili : par exemple Batich, Picarezcki ou California. Même si beaucoup de jeunes sont en jeans et écoutent de la cumbia, dans l’ensemble les Roms kalderash en particulier tiennent à maintenir leurs traditions en vie, notamment à travers les fêtes et cérémonies (mariages, choix du prénom de l’enfant et baptême, funérailles…). Les mariages avec des gadjé sont courants et les familles sont nombreuses (entre cinq et six enfants).
Nul ne sait à ce jour comment les tsiganes traversèrent les soubresauts de l’histoire de ce pays lointain. Certains ont dû dès leur arrivée être pris dans les combats de la guerre du Pacifique (1879, entre le Chili, le Pérou et la Bolivie) alors qu’ils avaient traversé les Océans et les neiges éternelles pour fuir la guerre. Certains, engagés dans les mines de salpêtre ont dû vivre les premiers mouvements de protestation des ouvriers et leur répression par la police, comme à Iquique en 1907 (3.000 morts).
Impossible de mesurer l’impact des politiques sociales mises en place bien plus tard, de 1971 à 1973, par le gouvernement socialiste de Salvador Allende, mais on peut supposer qu’elles ont eu un effet positif pour les tsiganes les plus pauvres.
Lorsque la féroce dictature d’Augusto Pinochet s’abat sur le Chili avec l’aide active des Etats-Unis le 11 septembre 1973, il y a 40 ans, les tsiganes, comme les gadjé des classes populaires, ont souffert terriblement et longtemps (17 ans !) même s’ils se tiennent habituellement éloignés de tout engagement politique. Parmi les 300.000 personnes arrêtées, les 35.000 torturées et les plus de 3.000 exécutées, figurent certainement des tsiganes mais là encore cet aspect de l’histoire chilienne reste à explorer.
Isabelle Ligner
Aux Saintes-Maries : une semaine chargée
La culture tsigane enfin reconnue !
Comité interministériel de lutte contre l’exclusion
Lundi 21 janvier 2013 ;
Sous la présidence de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre
———
Intervention de Mme Aurélie Filippetti,
ministre de la culture et de la communication
(extraits .)
Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres,
Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer sur cette question très importante pour moi mais surtout pour l’ensemble des acteurs du monde culturel et de tous ceux qui conçoivent et animent les politiques culturelles.
J’ai toujours en tête les mots de la dalle du parvis des droits de l’Homme. Elle proclame que « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’Homme sont violés ». Avant d’être une question de moyens, la lutte contre la pauvreté est donc d’abord une question démocratique qui touche aux droits fondamentaux de la personne.
Aux cotés des droits sociaux et éducatifs, l’accès à la culture est également un droit fondamental et un moyen de réduire l’exclusion. Depuis sa création, le ministère de la culture et de la communication s’attache à permettre l’accès de toutes et de tous à toutes les cultures mais également à transformer le regard de la société sur les plus démunis, à créer des formes de solidarité culturelle et à faire une place à la culture de ceux dont on dit souvent qu’ils n’en ont pas.
La Culture un droit fondamental
Il est nécessaire de réaffirmer que la politique culturelle doit être accessible à tous les citoyens, quelle que soit leur situation. Pour les personnes en situation d’exclusion, l’accès à la culture donne l’opportunité de participer à des activités collectives permettant de rompre avec l’isolement, mais aussi de favoriser le développement personnel, indispensable à la construction d’un projet d’insertion.
Un choix de vie : les Gens du voyage
Dans la mouvance de la Commission nationale consultative des Gens du Voyage (CNCGV), dans laquelle siège mon ministère, nous allons mettre en place un groupe de travail « Culture et Gens du voyage » qui rassemble les associations participant aux travaux de la commission. Je souhaite que ces travaux débouchent sur l’élaboration d’une charte dont le principal objectif sera de modifier le regard que la société porte sur ces minorités culturelles et leur permettre un meilleur accès à toutes les formes de culture. Pour ce faire, nous pourrons mobiliser des moyens du Plan national d’éducation artistique et culturelle.
Trois rencontres pour conforter l’action du ministère de la Culture auprès du monde associatif
J’ai prévu d’organiser cette année trois séances de travail au ministère pour conforter avec nos principaux partenaires associatifs la politique de lutte contre la pauvreté et l’exclusion que nous venons de définir : la première avec les présidents et correspondants culture des huit associations nationales de solidarité avec lesquelles nous sommes en partenariat ; la seconde avec les onze fédérations signataires de la charte « Culture-Education populaire » et, enfin, une troisième avec les représentants des fédérations de Gens du voyage du groupe « Culture et Gens du voyage ».
*—*
En tant que ministre de la culture et de la communication, mon premier objectif est de rétablir le lien entre les publics et l’extraordinaire diversité de la création contemporaine et la richesse de notre patrimoine. Un lien aujourd’hui fragile et fragilisé par la crise et la progression rapide des inégalités et de la pauvreté.
Chaque citoyen, quelle que soit sa situation et par delà les freins matériels, symboliques ou physiques d’accès à la culture, doit pouvoir disposer et s’approprier ce bien commun inestimable qu’est la culture ; parce que c’est un droit fondamental et parce que les droits de l’Homme sont indivisibles.
Notre responsabilité est de traduire ce principe dans des faits et des actions concrètes. C’est le sens de mon engagement et celui de mon ministère dans le Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale.